Christian
Adrien Righini1,2,3, Alexandre Karkas1, Nils Morel1, Edouard Soriano1,3,
Emile
Reyt1,3
1.
Clinique ORL, Pôle tête et cou et chirurgie réparatrice, CHU de Grenoble,
F-38043 Grenoble, France
2. Unité
Inserm UJF/U823, Centre de recherche Albert Bonniot, F-38042 Grenoble, France
3. Unité
Joseph Fourier, Grenoble I, F-38000 Grenoble, France
Correspondance
:
Christian
Adrien Righini, Clinique ORL, Pôle tête et cou,
CHU de Grenoble F-38000
Grenoble,
France.
Tél. :
+33 4 76 76 56 93
Fax :
+33 4 76 76 51 20
CRighini@chu-grenoble.fr
Disponible
sur internet le :
27 mai
2008
Reçu
le 11 mai 2007
Accepté
le 12 mars 2008
Presse
Med. 2008; 37: 1229–1240 en ligne sur / on line on
_ 2008 Elsevier Masson SAS.
Tous
droits réservés.
www.masson.fr/revues/pm
www.sciencedirect.com
1229 Revue systématique
Summary
Risk
factors for cancers of the oral cavity, pharynx (cavity
excluded)
and larynx
Objective
> To review the risk factors for
squamous cell carcinoma
of the
oral cavity, pharynx, and larynx.
Methods
> Review of the literature using the
Medline digital
database
(1980–2007). Previously published studies or studies not
found in
the database were included if relevant. Four types of
studies
were selected: (1) epidemiological, (2) toxicologic, (3)
clinical,
and (4) fundamental research. Publications concerning
cancer
of the nasopharynx were excluded. This work is based upon
the
ANAES guide for analysis of the literature and rating of
guidelines,
published in January 2000.
Results
> The principal risk factors are
tobacco and alcohol. Other
risk
factors, particularly infectious (viral) or environmental (nutritional
and
occupational), are also involved. From this analysis we
conclude
that: (1) most clinical and fundamental publications
concern
smoking and alcohol use; (2) studies of other risk factors are
relatively
old, especially those concerning nutritional and occupational
factors;
(3) most publications have a low level of scientific
Résumé
Objectif
> Faire le point sur les facteurs de
risque des carcinomes
épidermoïdes
de la cavité buccale, du pharynx et du larynx.
Méthodes
> Revue de la littérature à partir
de la base de données
informatisée
Medline (1980–2007). Des études antérieures citées
dans les
articles retenus, ou ne faisant pas partie de la base de
données,
ont été incluses en fonction de leur pertinence. Quatre type
d’études
ont été sélectionnés : (1) études épidémiologiques ; (2)
études
toxicologiques ; (3) études cliniques ; (4) recherche fondamentale.
Ont été
exclues de ce travail toutes les publications relatives
au
cancer du rhinopharynx. Notre travail s’est appuyé sur le guide
d’analyse
de la littérature et gradation des recommandations, publiée
par l’Anaes
en janvier 2000.
Résultats
> Les facteurs de risques principaux
sont le tabac et l’alcool.
D’autres
facteurs en particulier infectieux (virus) ou environnementaux
(nutritionnels
et professionnels) sont également impliqués. Il
ressort
de notre analyse que : (1) l’essentiel des publications cliniques
et
fondamentales portent sur le tabac et l’alcool ; (2) pour les autres
facteurs
de risques identifiés, les publications sont relativement
anciennes
en particulier en ce qui concerne les facteurs nutritionnels
et
professionnels ; (3) la plupart des publications ont un faible niveau
tome 37
> n89 > septembre 2008
doi: 10.1016/j.lpm.2008.03.010
Les cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS)
comportent
3 sous groupes (figure 1) :
_ les cancers des glandes salivaires ;
_ les cancers rhinosinusiens ;
_ les cancers de la cavite´ buccale, du pharynx et du
larynx.
Parmi
les cancers du pharynx, on distingue les tumeurs du
cavum ou
rhinopharynx qui sont pour la plupart des cancers de
type
UCNT (Undifferential Cancer
Nasopharyngeal Type). Pour
ces
cancers, l’implication du virus Epstein-Barr dans le processus
de
cancérogenèse a été identifiée au début des années
1990 [1]. Cette
localisation anatomique n’a pas été prise en
compte
dans notre travail.
La
fréquence des cancers de la cavité buccale, du pharynx et du
larynx
augmente dans le monde [2]. Il s’agit dans plus de 90 %
des cas
de cancers malpighiens dont il existe différents sousgroupes
selon la
classification de l’OMS (Organisation mondiale
de la
santé) [3]. Ce ne sont plus uniquement les hommes d’âge
mûr (50–60 ans) alcoolotabagiques qui sont
concernés, mais de
plus en
plus de femmes et de sujets jeunes qui sont atteints par
ce type
de tumeur [4]. Malgré les avancées thérapeutiques, le
1230
proof
(grade C, levels 3 and 4). These 3 points explain the delay in
the
analysis of risk factors for upper aerodigestive tract (UADT)
cancers.
Conclusions
> We must make up for this delay by
prospective
studies
that include very large samples and use thorough and
multivariate
statistical analyses to estimate the impact of various
toxic
substances on the incidence of UADT cancer. This demands: (1)
awareness
on the part of all physicians who manage this type of
cancer
of the need to ask questions about exposure to risk factors
besides
than tobacco and alcohol; (2) collaboration between these
physicians
as well as with general practitioners, epidemiologists,
nutritionists,
and occupational physicians.
de
preuve scientifique (grade C, niveaux 3 et 4). Ces 3 points
traduisent
le retard qui a été pris en ce qui concerne l’analyse des
facteurs
de risques des cancers des voies aérodigestives supérieures
(VADS).
Conclusions
> Il y a nécessité de combler le
retard pris par le biais
d’études
incluant un grand nombre de patients, de façon prospective,
en ayant
recours à des analyses statistiques approfondies multivariées
et ce,
dans le but de faire ressortir l’impact de chacun des
toxiques
sur l’incidence des cancers des VADS. Cela suppose : (1) une
prise de
conscience de la part de l’ensemble des médecins qui
prennent
en charge ce type de cancer, de la nécessité de rechercher
par l’interrogatoire
d’autres facteurs de risque que le tabac et l’alcool ;
(2) une
collaboration entre ces médecins mais également les médecins
généralistes,
les épidémiologistes, les nutritionnistes et les
médecins
du travail.
Ce
qui e´ tait connu
_ Cancers des voies aérodigestives supérieures : 17 000 nouveaux
cas/an
en France.
_ Les 2 toxiques principaux identifiés : le tabac et l’alcool.
Ce
qu’apporte notre travail
_ D’autres facteurs de risque sont probablement
incriminés : le
cannabis,
les virus de la famille des Papilloma
virus, l’hygiène
dentaire,
les facteurs environnementaux (nutritionnels, professionnels),
l’immunodépression
(VIH).
_ Nécessité d’une collaboration entre spécialistes d’organe
(ORL,
chirurgiens
maxillo-faciaux), mais aussi médecins généralistes,
nutritionnistes,
épidémiologistes, médecins du travail pour mieux
identifier
ces facteurs.
_ Proposition de centralisation de ces données au niveau
des
registres
du cancer regroupés dans le réseau Francim.
_ De la bonne connaissance de ces facteurs de risque,
pourrons
déboucher
des actions en termes de prévention primaire susceptibles
de
diminuer l’incidence et la mortalité de ce type de cancer.
Figure
1
Représentation
anatomique des voies aérodigestives
supérieures
(VADS) sur une coupe sagittale médiane
(1)
Rhinopharynx (cavum) ; (2) Oropharynx ; (3) Cavité buccale ; (4) Larynx ;
(5)
Hypopharynx
CA
Righini, A Karkas, N Morel, E Soriano, E Reyt
tome 37
> n89 > septembre 2008
pronostic
de ces cancers reste médiocre, 35 à 40 % à 5 ans tous
stades
et localisations confondues [5]. Un des moyens de faire
baisser
la mortalité de ces cancers est la prévention primaire
mais
cela nécessite, entre autres, d’individualiser parfaitement
les
facteurs de risque susceptibles d’être impliqués dans la
survenue
de ces tumeurs.
Même si
l’alcool et le tabac demeurent les 2 toxiques majeurs
identifiés,
il semble que d’autres facteurs, notamment environnementaux
et alimentaires,
puissent être liés à la survenue des
cancers
des VADS chez des patients non alcoolotabagiques. Le
but de
notre travail était de faire le point sur les facteurs de
risque
des cancers de la cavité buccale, du pharynx et du larynx
à partir
des données de la littérature.
Méthodes
La
recherche documentaire s’est faite à partir de la base de
données
informatisée Medline (1980–2007) en utilisant
comme
mots clés : « head and neck cancer », « squamous
cell
carcinoma », « Tobacco », « Alcohol »,
« epidemiology », « carcinogen », « oncogenesis
». Ont été
exclues
de ce travail toutes les publications relatives au cancer
du
rhinopharynx compte tenu d’une épidémiologie très particulière
liée à
ce type de cancer et de la nature histologique des
tumeurs
rencontrées dans cette localisation anatomique.
Seules
les publications traitant des cancers malpighiens de la
cavité
buccale, de l’orohypopharynx et du larynx ont été
retenues.
Les
auteurs de ce travail ont fait une première sélection
d’articles.
Une seconde sélection a été faite par un médecin
ORL
senior à partir des premiers articles sélectionnés. Des
études
antérieures citées dans les articles retenus, ou ne faisant
pas
partie de la base de donnée, ont été incluses en fonction de
leur
pertinence. Quatre types d’études ont été sélectionnés :
_ e´ tudes e´ pide´ miologiques ;
_ e´ tudes toxicologiques ;
_ e´ tudes cliniques ;
_ recherche fondamentale.
Les
facteurs de risque retenus l’ont été en fonction de leur
fréquence
d’apparition dans les études.
Parmi
les études cliniques, seules celles comportant un nombre
important
de patients (>50) ont été retenues. Pour ces publications,
notre
travail s’est appuyé sur le guide d’analyse de la
littérature
et gradation des recommandations (A, B, C), publié
par l’Anaes
en janvier 20006, afin d’évaluer le niveau de preuve
apporté
en fonction de différents critères résumés dans le
tableau
I.
Pour les
études fondamentales, seules les publications
émanant
d’équipes reconnues pour leurs travaux dans le
domaine
de la cancérogenèse des cancers des VADS et décrivant
un
mécanisme de cancérogenèse ont été retenues.
S’agissant
d’une étude descriptive, il n’a pas été réalisé de
méta-analyse
statistique.
Résultats
La
recherche sur la base informatisée Medline a permis de
retrouver
258 articles. Après la première sélection opérée par le
groupe
de lecture, 110 articles ont été retenus. Après relecture
par le
médecin ORL senior, 77 ont été définitivement retenus. Si
l’on
exclut les publications de l’OMS [3] et la classification de
l’Anaes [6], parmi
les 75 publications restantes, 29 concernaient
des
études épidémiologiques, 18 des études fondamentales,
17 des
études toxicologiques et 11 des études cliniques.
Dans le
chapitre qui suit, pour les études cliniques, le niveau de
preuve
selon la classification de l’Anaes est indiqué entre
parenthèses.
Tabac
Le tabac
peut être fumé, prisé ou chiqué. En France, le tabac
prisé et
à chiquer est d’utilisation très marginale et représente
moins de
0,4 % du tabac consommé [7]. Le tabac à chiquer est
beaucoup
moins toxique, mais il peut donner lieu à des cancers
des
lèvres ou de la face interne des joues, car il peut être
mélangé
à d’autres toxiques que sont la chaux, les feuilles de
1231 Revue systématique
Tableau
I
Niveaux
de preuve scientifique fournis par la littérature et force
des
recommandations (Anaes, 2000)
Niveau
de preuve scientifique fourni
par la
littérature
Force
des
recommandations
Niveau
1 Grade A
Essais
comparatifs randomisés de
forte
puissance
Preuve scientifique
établie
Méta-analyse
d’essais comparatifs
randomisés
Analyse
de décision basée sur des
études
bien menées
Niveau
2 Grade B
Essais
comparatifs randomisés
de
faible puissance
Présomption
scientifique
Études
comparatives non
randomisées
bien menées
Études
de cohorte
Niveau
3 Grade C
Études
cas-témoins Faible niveau de preuve
Essais
comparatifs avec série scientifique
historique
Niveau
4
Études
comparatives comportant
des
biais importants
Études
rétrospectives
Séries
de cas
Études
épidémiologiques descriptives
(transversale,
longitudinale)
Facteurs
de risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx (cavum exclu) et du
larynx
tome 37
> n89 > septembre 2008
bétel,
et les noix d’Arèque ; ce type de consommation est très
répandu
en Inde, à Taiwan et dans de nombreux pays d’Asie du
Sud-Est,
mais également dans les populations migrantes issues
de ces
régions géographiques [8]. L’utilisation du tabac sous
cette
forme est tenue responsable d’une très forte augmentation
de l’incidence
dans ces pays, de la fibrose sous-muqueuse
de la
cavité buccale, en particulier chez les sujets jeunes et
indépendamment
de la durée de consommation. Il s’agit d’une
lésion
prénéoplasique qui est irréversible et sans traitement
connu.
Le pourcentage de dégénérescence en carcinome malpighien
est
particulièrement élevé.
Cependant,
même utilisé seul, le tabac chiqué est toxique. C’est
ainsi
que Schantz et Guo-Pei [9] ont attribué l’accroissement
des
cancers de la langue chez les jeunes adultes aux États-Unis
à la
forte augmentation de tabac à chiquer, confirmant le
rapport
de l’International Agency for Research
on Cancer (IARC)
de 1985 [10].
Aucune
donnée épidémiologique concernant le tabac à priser
n’était
disponible dans la littérature.
En
France, c’est en 1954 qu’une première étude rétrospective
de 4000
malades atteints de cancers des VADS et un nombre
égal de
sujets témoins non fumeurs a permis d’établir une
différence
significative entre les 2 groupes, et donc d’imputer le
tabac
comme facteur de risque [7]. Vingt ans plus tard en
Grande-Bretagne,
Doll et Peto démontraient que le risque de
mortalité
par cancer des VADS chez les fumeurs par rapport aux
non-fumeurs
était augmenté de 2 à 12 en fonction de la
localisation,
à l’exception des cancers des cavités rhinosinusiennes
et du
cavum [11] (grade C). La corrélation entre le
risque
accru de cancer chez les fumeurs et le siège du cancer est
probablement
liée aux modalités du passage de la fumée de
tabac au
contact des structures anatomiques, le contact se
faisant
successivement avec les lèvres, la cavité buccale, l’oropharynx,
l’hypopharynx
et le larynx. Szekely et al. [12] ont
montré
que la sensibilité de la muqueuse au tabac et à l’alcool,
et donc
le risque de développer un cancer, était décroissante de
la
cavité buccale vers le larynx, avec un risque maximal au
niveau
buccopharyngé, probablement par un contact plus étroit
et
prolongé de la muqueuse avec les agents toxiques.
La
consommation de cigarettes est la plus répandue, loin
devant
celle du cigare et de la pipe. Une cigarette se compose
de 1 g
de tabac, enrobé de papier qui est fait de chanvre, de lin
et
autres ingrédients pour améliorer sa combustibilité. La
fumée de
cigarette résulte de la combustion incomplète du
tabac.
Elle contient 5 milliards de particules/mL ; ces particules
proviennent
de la zone de combustion et sont générées par 3
réactions
qui se produisent simultanément :
_ une pyrolyse qui de´ compose le tabac en petites
mole´ cules ;
_ une pyrosynthe` se avec production de nouveaux
composants ;
_ une distillation de certains composants du tabac. L’intensite´
de
ces
re´ actions est directement lie´e a` la tempe´ rature de
combustion.
Physiopathologiquement,
au sein de ces particules, 4 groupes
de
substances sont distingués :
_ la nicotine ;
_ le monoxyde de carbone (CO) ;
_ les irritants (phe´ nols, alde´ hydes, acrole´ ı¨ne)
;
_ les substances cance´ rige` nes regroupe´ es en
sous-classes dont
les
3 plus importantes sont les nitrosamines spe´ cifiques du
tabac,
les arylamines et les hydrocarbures aromatiques
polycycliques
dont le plus connu est le 3,4-benzo(a)pyre` ne
(3,4-BaP).
Les
substances cancérigènes sont, pour une partie d’entre elles,
dissoutes
dans la salive. Il s’agit en fait, pour la plupart, de
procarcinogènes
inactifs rendus actifs grâce aux cytochromes
P450 1A1
[13]. C’est ainsi que le 3,4-BaP est transformé en un
carcinogène
actif : le benzo (a) pyrène-diol-époxide. Des
travaux
ont montré que le benzo (a) pyrène-diol-époxide
agissait
directement sur l’ADN (acide désoxyribonucléique),
plus
précisément au niveau des exons 4, 5, 6, 7 et 8 du
gène
TP53 [14,15], gène clé dans la carcinogenèse des cancers
des VADS
[16]. Il existe d’autres sous-classes de produit regroupant
plus de
50 substances cancérigènes [17].
Nous
notons que le CO et la nicotine ne sont pas classés parmi
les
substances cancérigènes. Toutefois, concernant la nicotine,
une
étude faite in vitro sur des lignées cellulaires de cancers des
VADS a
montré qu’elle pourrait être impliquée dans l’altération
du
mécanisme d’apoptose [18]. Ce travail n’a jamais été
confirmé
par d’autres études.
Le
risque de cancer croît avec l’intensité et l’ancienneté du
tabagisme,
avec une relation « dose-effet ». Le seuil critique se
situerait
à 20 paquets-années, ce qui correspond à une
consommation
d’un paquet de cigarettes par jour pendant
20 ans.
Outre la consommation et l’ancienneté du tabagisme,
d’autres
facteurs entrent en jeu :
_ l’inhalation de la fume´ e, qui augmente le risque [19] ;
_ la longueur du me´ got, car c’est dans le me´ got
re´ duit que
s’accumule
le plus de substances toxiques ;
_ le filtre dont le roˆ le reste controverse´ ,
diminuant le risque pour
certains
auteurs, ne changeant rien pour d’autres [19] ;
_ le type de tabac, le tabac brun e´ tant plus toxique
[20].
La
cigarette est plus toxique que le cigare car celui-ci ne
comporte
pas de papier, ce qui engendre une température
de
combustion moins élevée et donc une production de particules
moins
importante ; il en est de même pour la pipe [19]. Le
tabagisme
passif a été mis en cause dès le début des années
1980, le
risque cancérigène pour un conjoint non fumeur étant
de 3 par
rapport à un sujet témoin non exposé [7].
La
poursuite de l’intoxication tabagique après guérison d’un
premier
cancer facilite l’apparition d’un second cancer des
VADS.
Dès le début des années 1980, Silvermann et al. avaient
montré
que la fréquence d’apparition d’un second cancer était
de 18 %
chez le sujet ayant arrêté de fumer et de 30 % en cas
de
poursuite de l’intoxication tabagique [21] (grade C).
1232
CA
Righini, A Karkas, N Morel, E Soriano, E Reyt
tome 37
> n89 > septembre 2008
On parle
de facteurs de risque génétique lorsqu’un individu est
génétiquement
prédisposé à la maladie cancéreuse ou plus
susceptible
de développer un cancer après exposition à un
agent
cancérigène. Pendant très longtemps, la notion de facteurs
de
risque génétiques et cancers des VADS était un sujet
polémique.
Plusieurs études ont suggéré l’existence d’une
« susceptibilité » individuelle aux carcinomes des
VADS [22].
La
notion de sujets « prédisposés » à développer un carcinome
des VADS
repose, entre autres, sur le rapport des CDC (US
Centers
for Disease Control) stipulant que sur les 46
millions de
fumeurs
américains, seulement 40 000 à 50 000 développaient
chaque
année un carcinome des VADS, soit moins d’un sujet
fumeur
sur 1000 [23].
Le
métabolisme des carcinogènes du tabac et les systèmes de
réparation
des lésions de l’ADN sont 2 mécanismes dont on
connaît
des différences d’activité d’origine héréditaire, pouvant,
au moins
partiellement expliquer une variabilité de
sensibilité
des individus aux méfaits du tabac.
Néanmoins
la notion de cancers des VADS familiaux n’est
actuellement
pas admise.
Génétique
et métabolisation des carcinogènes du tabac
Au
niveau de l’organisme, les carcinogènes du tabac sont
métabolisés
par des enzymes dont le rôle majeur est leur
élimination.
Certains des gènes codant pour ces enzymes ont
un
polymorphisme. Pour un individu, hériter d’une enzyme à
activité
réduite peut conduire à une accumulation excessive de
toxiques
et à une diminution des capacités de détoxification.
Des
études épidémiologiques ont été menées afin d’identifier,
parmi
les polymorphismes des gènes impliqués dans le métabolisme
des
carcinogènes du tabac, ceux pouvant constituer
des
facteurs de risque pour les carcinomes des VADS [24]. Les
glutathions-S-transférases
(GST) forment une famille d’isoenzymes
qui
catalysent la conjugaison du gluthation sur des
substrats
électrophiles. Ce sont des enzymes qui ont un rôle
majeur
dans la détoxification de nombreux composés.
Dans la
population caucasienne, 2 génotypes homozygotes nuls
de GSTM1
et GSTT1 sont détectés chez respectivement 40 et
15 % des
sujets. Dans les 2 cas, il s’agit d’une double délétion
du gène
avec comme conséquence une absence totale d’enzyme.
La
double délétion de GSTM1 [25] et l’association des 2
génotypes
homozygotes nuls de GSTM1 et GSTT1 augmentent
le
risque de carcinome des VADS [26].
Les
cytochromes P450 forment une famille d’enzymes qui
intervient
également dans le métabolisme de nombreux toxiques.
Parmi
eux, rappelons les cytochromes P450 1A1
(=CYP1A1
MspI) et 2E1 (=CYP2E1 PstI) qui métabolisent le
B(a)P en B(a)P-diol-époxide [25]. Il est décrit chez certains
sujets
une hyperactivité du CYP1A1 associée à une augmentation
des
adduits du B(a)P sur l’ADN et une augmentation
du
risque de cancer du larynx et de la cavité buccale chez
les
fumeurs [15]. Il a été montré que l’association d’une
hyperactivité
du CYP1A1 et du génotype GSTM1 nul constituait
un
risque multiplicatif pour les carcinomes des VADS [25].
Génétique
et réparation de l’ADN
De
nombreux systèmes de réparation permettent le maintien
de l’intégrité
du génome et les altérations subies par la
molécule
d’ADN peuvent être réparées. Les carcinogènes du
tabac
étant à l’origine de dommages sur l’ADN, il est concevable
qu’une
variabilité des systèmes de réparation entraîne
chez le
fumeur une variabilité du risque de cancer.
Deux
tests de sensibilité à des agents mutagènes ont été mis au
point à
partir de cultures in vitro de lymphocytes circulants :
_ un test direct de re´ activation cellulaire en
utilisant un « ge` ne
reporter
» alte´ re´ par le benzo(a)pyre` ne-diol-e´ poxide (BPDE)
[27]
;
_ un test indirect qui e´ value la sensibilite´ de la
cellule aux
mutage`
nes [28], dans lequel sont comptabilise´ es les cassures au
niveau
de la chromatine apre` s exposition a` un cytotoxique
(ble´
omycine) ou au BPDE.
Ces
tests effectués sur des patients ayant un carcinome des
VADS et
sur des patients témoins fumeurs (appariés sur la
consommation
de tabac) mais indemnes de cancer, ont montré
qu’il
existait un nombre de sujets ayant une sensibilité aux
carcinogènes
et un défaut de réparation de l’ADN significativement
plus
élevé dans le groupe des sujets porteurs d’un
carcinome
des VADS. Les altérations des systèmes de réparation
de l’ADN
peuvent être constitutionnelles ou acquises. Des
altérations
constitutionnelles pour 2 gènes spécifiques de la
réparation
de l’ADN ont été documentées pour les carcinomes
des
VADS. Il s’agit des gènes XRCC1 et hMLH1. XRCC1 intervient
dans la
réparation des cassures double brin de l’ADN. hMLH1
intervient
dans la correction des discordances qu’il peut exister
dans la
séquence des nucléotides entre les 2 brins d’ADN ; son
dysfonctionnement
favorise l’apparition d’instabilités microsatellitaires,
elles-mêmes
favorisant une instabilité génomique.
La
présence de 2 polymorphismes de XRCC1 (XRCC1 26304 CC et
28152 AA)
ou la baisse d’expression constitutionnelle de
hMLH1
sont associées à un risque accru de carcinomes des
VADS [29,30].
D’autres
anomalies sont acquises lors de la cancérogenèse. Ces
anomalies
peuvent favoriser, en retour, l’accumulation progressive
d’anomalies
impliquées dans le développement du
cancer.
L’interactivité qui existe entre les mécanismes de la
cancérogenèse
et les mécanismes susceptibles de les contrer
crée les
conditions propices au bouleversement complet de
l’homéostasie
cellulaire.
Sous l’effet
conjoint du tabac et de l’alcool vont s’accumuler, au
sein des
cellules exposées, des radicaux libres, dont le benzo
(a) pyrène-diol-époxide à l’origine de l’altération, par oxydation,
des
nucléotides constitutifs de l’ADN [31]. Une vingtaine
d’altérations
de ce type ont été répertoriées dans les carcinomes
des
VADS, dont la plus fréquente est la 8-oxo-guanine
1233 Revue systématique
Facteurs
de risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx (cavum exclu) et du
larynx
tome 37
> n89 > septembre 2008
[17]. En cas d’absence de réparation de la 8-oxo-guanine,
celleci
peut
être remplacée par une adénine favorisant la transversion
G :C ! T : A ; ce type de mutation est
une des plus
fréquentes
relevées au niveau de TP53 [32]. Le gène hOGG1
(human 8-oxo-Guanine DNA glycosylase 1) code pour une
protéine
capable de transformer la 8-oxo-guanine en
guanine
; ce gène est localisé sur le bras court du chromosome
3 en
3p26.2, une région fréquemment délétée dans les carcinomes
des VADS
et ce, à un stade très précoce de la carcinogenèse
[17]. Il n’y a aucune mutation identifiée pour le gène
hOGG1 [33,34] et donc, contrairement à ce qui est habituellement
le cas
lors de perte d’hétérozygotie, l’inactivation de
l’allèle
correspondant ne l’est pas par mutation. Des études
complémentaires
concernant les mécanismes d’inactivation
d’hOGG1
dans les carcinomes des VADS sont donc nécessaires.
Une des
axes de recherche est la mise en évidence d’anomalies
épigénétiques,
en particulier la méthylation de la région promotrice
de ce
gène [35].
En
somme, le gène hOGG1 peut être considéré comme un gène
important
dans les processus de réparation de l’ADN des
carcinomes
des VADS, mais également comme un gène protecteur
de la
muqueuse des VADS contre les effets des radicaux
libres
accumulés sous l’effet, entre autres, de l’intoxication
alcoolotabagique.
Un autre
gène important dans la réparation de l’ADN est le O6-
méthylguanine
DNA méthyltransférase (MGMT). MGMT code
pour une
protéine capable de transformer l’O6- méthyl (alkyl)
guanine,
un des 13 nucléotides modifiés induits par les nitrosamines
contenues
dans la fumée de tabac, en guanine. Si elle
est non
réparée, l’O6-méthyl (alkyl) guanine peut être remplacée
par une
thymine favorisant la transition G :C!T :A [17].
Ce type
de mutation ponctuelle, similaire à la transversion G :C
en T :A,
est fréquemment relevé au niveau de TP53 dans les
carcinomes
des VADS. Un des mécanismes principaux d’inactivation
de MGMT
est la méthylation de la région promotrice de
ce gène.
hMLH1
est un gène important dans le contrôle de la stabilité du
génome
en empêchant l’apparition d’instabilités microsatellitaires.
Les
mécanismes d’inactivation de ce gène dans les
carcinomes
des VADS sont encore mal définis. Il est probable
que l’hyperméthylation
de la région promotrice de ce gène soit
un
mécanisme important.
Alcool
La
consommation d’alcool est très élevée en France par rapport
aux
autres pays de la Communauté Européenne. Elle a baissé
régulièrement
depuis 40 ans, alors qu’elle a augmenté dans les
autres
pays. L’enquête la plus récente sur la consommation
d’alcool
en France est une enquête téléphonique, auprès de
30514
personnes âgées de 12 à 75 ans, analysant le nombre de
verres d’alcool
bus par jour, quel que soit le type d’alcool [36].
Ce
travail fait apparaître que seulement 17 % de la population
étudiée
déclarait ne pas avoir consommé d’alcool au décours
des 12
derniers mois et que les hommes représentaient 70 %
de la
population des buveurs. Parmi les buveurs, cette enquête
a mis en
évidence 3 sous-groupes :
_ les petits buveurs (moins de 3 verres/24 h) ;
_ les moyens buveurs (3 a` 5 verres/24 h) ;
_ les gros et les tre` s gros buveurs (>5 verres/24 h).
Chacun
des groupes représentant respectivement 60, 27 et
13 % de
la population interrogée.
La plupart
des études n’ont pas mis en évidence d’augmentation
du
risque de morbidité pour une consommation d’alcool
<2 verres par jour. Le risque de
survenue d’un cancer des VADS
augmente
dès lors que la consommation d’alcool devient >2
verres
par jour [37]. Enfin, à partir d’une consommation >5
verres,
le risque de survenue d’un cancer des VADS est doublé
par
rapport aux non-buveurs [37], le risque augmentant régulièrement
avec la
dose d’alcool pur contenu dans les boissons
alcoolisées,
sans effet de seuil [38,39]. Le risque de cancer des
VADS est
indépendant du type de boisson consommé [40].
L’alcool
seul, à la différence du tabac, ne provoque pas de
cancer
chez l’animal, même si certains cancérigènes comme les
nitrosamines
sont retrouvés dans des boissons alcoolisées,
notamment
la bière. Le mécanisme exact par lequel l’alcool
provoque
une transformation maligne des cellules épithéliales
des VADS
n’est pas élucidé [41]. Néanmoins, on lui attribue
comme
rôles :
_ celui de solvant des carcinoge` nes re´ sultants de
la combustion
du
tabac, favorisant leur passage transmuqueux ;
_ de diminuer la protection muqueuse par la salive par
le biais
de
l’irritation locale provoque´ e par l’e´ thanol ;
_ de favoriser une atrophie muqueuse [40] ;
_ d’activer les cytochromes P450 1A1 et donc de
favoriser la
transformation
de procarcinoge` nes contenus dans la fume´e de
tabac
en carcinoge` nes actifs [42] ;
_ d’induire des de´ ficiences nutritionnelles avec
hypovitaminoses,
vitamines
A et C en particulier, qui facilitent l’e´ mergence
des
cancers d’une fac ¸
on
ge´ ne´ rale, par de´ ficit en antioxydants ;
_ d’induire au niveau de la muqueuse, par le biais de
son
me´
tabolisme, la production d’ace´ talde´ hyde qui est un me´ tabolite
carcinoge`
ne [40].
Concernant
le dernier point il a été montré que le déficit de 2
enzymes
impliquées dans le métabolisme de l’acétaldéhyde
(ADH
alcool-déshydrogénase et alDH aldéhyde-déshydrogénase),
conséquence
d’un polymorphisme génétique, augmentait
le
risque de cancer des VADS [40].
L’intoxication
tabagique et l’imprégnation éthylique sont souvent
associées,
et leurs effets sur le risque de cancer des VADS
sont
multiplicatifs [43]. Cet effet synergique entre les 2 toxiques
est
connu depuis les travaux de Rothman et Keller [44]
dans les
années 1970. Dans cette étude, si le risque relatif (RR)
était de
1 chez les « non-buveurs, non-fumeurs », il s’élevait à
2,33
chez les « grands-fumeurs, non-buveurs », à 2,43
chez les
1234
CA
Righini, A Karkas, N Morel, E Soriano, E Reyt
tome 37
> n89 > septembre 2008
« grands-buveurs, non-fumeurs », et à
15,5 chez les « grandsbuveurs,
grands-fumeurs
». Ces résultats ont été confirmés par
les
travaux de Tuyns et al. [45] (grade
C) à la fin des années
1980.
En
termes de localisations, plusieurs études ont mis en évidence
que les
3 localisations les plus fréquentes parmi les
cancers
des VADS en cas d’intoxication alcoolique étaient :
_ la cavite´ buccale ;
_ l’oropharynx ;
_ l’hypopharynx.
Dans une
étude menée par l’Institut Curie à la fin des années
1980, si
le RR était de 1 chez les buveurs de moins de 40 g
d’alcool/24
h, il s’élevait chez les buveurs de 160 g et plus à
67,8
pour le larynx, 88,7 pour l’oropharynx, 257.,5 pour l’hypopharynx
et 579
pour la cavité buccale [46]. Le risque particulièrement
élevé en
ce qui concerne la cavité buccale a été
confirmé
[47].
Autres
facteurs de risque
Facteurs
viraux
Le rôle
des virus dans la genèse des cancers des VADS reste
incertain.
Il n’y a pas de preuve de la relation causale entre ces
cancers
et les adénovirus, les cytomégalovirus, le virus
varicelle-
zona
(VZV), le virus herpétique humain 6 (HHV-6). En
revanche,
d’autre virus sont incriminés. Ce sont les virus de la
famille
des Human Papilloma Virus (HPV) [48,49].
Une
étude épidémiologique rétrospective portant sur 292
patients
atteints d’un carcinome des VADS et 1568 sujets
témoins
a montré, par détermination de la séropositivité
HPV-16, que le risque était significativement associé à l’infection
par l’HPV16 (RR =
2,2) ; dans cette étude, les auteurs ont
montré
que le risque était dépendant du site anatomique, avec
un
niveau particulièrement élevé dans les cas de tumeurs de
l’amygdale
(RR = 10,2) et de la base de langue (RR = 20.7), par
rapport
aux autres localisations [15]. D’autres études ont
montré
la présence de particules virales en plus grande quantité,
50%en
moyenne, dans les tumeurs de la cavité buccale et
de l’oropharynx,
par rapport à la muqueuse normale et ce, qu’il
y ait ou
non intoxication alcoolotabagique [48,50]. C’est ainsi
que
Smith et al. ont montré l’intérêt de rechercher l’HPV dans
les
cellules épithéliales de la cavité buccale collectées par
brossage,
pour l’identification des patients à risque de développer
un
carcinome épidermoïde, indépendamment du degré
d’intoxication
alcoolotabagique [51].
En
revanche pour les tumeurs du larynx, alors que la papillomatose
laryngée
est liée à l’infection par HPV, le risque de
dégénérescence
est faible et semble plus lié à une intoxication
tabagique
concomitante [52].
Deux types
d’HPV sont carcinogènes : les HPV 16 et 18. Pour
certains
auteurs, ils agiraient en entraînant soit une mutation
de TP53,
soit une inactivation des protéines p53 et Rb par
l’intermédiaire
de 2 oncoprotéines virales E6 et E7 [53]. Pour
d’autres
auteurs, ils n’interviendraient que comme cocarcinogènes
[54].
Même si
les études ne sont pas unanimes quant à la participation
de l’HPV dans la
cancérogenèse des carcinomes des VADS,
il est
vraisemblable que cet agent infectieux rende compte
d’une partie
des carcinomes des VADS diagnostiqués chez les
patients
n’ayant pas d’intoxication alcoolotabagique (5 à 10 %
en
fonction des études) [40].
Cannabis
Déjà
signalée par Almadori [55] en 1990 en Italie, la consommation
de
marijuana fait actuellement l’objet d’études aux
États-Unis
pour expliquer l’augmentation des cas chez les
adultes
de moins de 40 ans atteints de cancer des VADS, en
particulier
de la langue mobile [7]. Ces études épidémiologiques
sont
appuyées par des données expérimentales sur des
modèles
animaux [56].
Le
risque de développer un cancer des VADS avec la marijuana
est
dose-dépendant (fréquence et durée de l’intoxication) [57].
Par
ailleurs, il existe souvent une consommation de tabac et
d’alcool
simultanée, ce qui rend difficile la détermination du
rôle
respectif de chacun des toxiques. Des études épidémiologiques
avec des
analyses statistiques multivariées sont donc
nécessaires.
État
dentaire
Il est
habituel de souligner le mauvais état dentaire des
patients
pris en charge pour un cancer des VADS. Toutefois il
est
difficile de faire la part entre ce qui pourrait être le reflet
d’un
contexte socioculturel et ce qui serait un agent causal
incontestable.
Nous pouvons malgré tout supposer que les
traumatismes
dentaires répétés sur des chicots dentaires, les
modifications
du pH salivaire engendrées par une infection
chronique
peuvent avoir un rôle, au moins comme cofacteurs,
dans la
genèse de ces cancers [58] (grade C).
Seule
une étude chinoise a conclu qu’un mauvais état dentaire
pouvait
être un facteur de risque indépendant pour les cancers
de la
cavité buccale [59] (grade C). Toutefois, la plupart des
études
tendent à montrer que l’impact de l’alcoolotabagisme
prévaut
largement sur le contexte dentaire ou prothétique
dentaire.
Facteurs
nutritionnels
Un cas
particulier mérite d’être individualisé, celui du syndrome
de
Plummer-Vinson ou Kelly Patterson, décrit simultanément
et
respectivement aux États-Unis et en Grande-
Bretagne
[7]. Il s’agit d’un syndrome associant une anémie
sidéropénique
et une atrophie des muqueuses digestives,
retrouvé
dans 50 à 90 % des cas de cancers de la région
du
rétrocricoïde (sous-localisation hypopharyngée), notamment
chez la
femme, et ce en dehors de toute exogénose.
L’amélioration
de la diététique avec l’apport de fer dans
1235 Revue systématique
Facteurs
de risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx (cavum exclu) et du
larynx
tome 37
> n89 > septembre 2008
l’alimentation
a fait chuter radicalement la fréquence de ce
syndrome
et de ce type de cancer [60].
Les
carences vitaminiques, notamment en vitamines A [61] et C
[62], liées à une alimentation mal équilibrée
faciliteraient
l’éclosion
des cancers d’une façon générale par l’intermédiaire
d’une
accumulation de radicaux libres [63]. La moindre incidence
des
cancers en cas d’alimentation riche en légumes et en
fruits
est incontestable ; c’est ainsi que le risque de cancer de
l’oropharynx
et de l’hypopharynx est 3 à 5 fois moindre selon
l’importance
relative de ce type d’aliments [4]. L’alimentation
mal
équilibrée avec un excès de consommation de graisses
d’origine
animale, qui caractérise les patients ayant un cancer
des
VADS, pourrait être l’expression d’un contexte socioéconomique,
ou la
traduction des désordres générés par l’alcoolisme
autant
que d’être de réels facteurs épidémiologiques ; la valeur
statistique
de leur association au risque de cancer diminue
notablement
lorsque les données sont ajustées sur le tabac et
l’alcool
[64] (grade C).
En
raison de l’implication probable de carences vitaminiques
dans la
cancérogenèse des cancers des VADS, des essais
thérapeutiques
basés sur l’administration de dérivés de la
vitamine
A ont été réalisés. Mackerras et al. ont montré que
la prise
de bêtacarotène pouvait diminuer le nombre de cancers
des VADS
[65] (grade C). Dans une première étude, Hong et al.
avaient
montré que l’administration d’un dérivé de la vitamine
A, l’isotrétinoïne,
pouvait prévenir l’apparition d’un second
cancer,
chez les patients ayant déjà eu un cancer des VADS
[66] (grade B) ; ces résultats ont été infirmés par la même
équipe [67] (grade
A), dans une étude randomisée de phase III
ayant
inclus plus de 1000 patients. Dans le groupe de patients
ayant
reçu 30 mg/24 h d’isotrétinoïne, l’apparition de seconds
cancers
n’était pas significativement diminuée par rapport au
groupe n’ayant
pas reçu de traitement. Ces résultats sont en
accord
avec une étude française du GETTEC (Groupe d’étude de
tumeurs
de la tête et du cou) [68] (grade B), qui avait montré
l’absence
de bénéfice de l’administration d’un rétinoïde pour
prévenir
l’apparition d’un second cancer.
Immunodépression
Dans la
population des patients infectés par le VIH (virus de
l’immunodéficience
humaine), le taux de cancers, toutes localisations
confondues,
a tendance à augmenter ; les cancers des
VADS n’échappent
pas à cette évolution épidémiologique [69].
Plusieurs
explications sont possibles :
_ l’augmentation de la longe´ vite´ lie´ e aux
traitements
antiviraux
;
_ l’immunode´ pression qui favorise l’apparition de
le´ sions
pre´
ne´ oplasiques susceptibles de de´ ge´ ne´ rer en cancer, comme
cela
avait e´ te´ de´ montre´ de` s la fin des anne´ es 1980 [70] ;
_ la fre´ quence e´ leve´ e de l’intoxication
alccolotabagique et
l’addiction
pour les stupe´ fiants, dont le cannabis, pour une part
des
patients infecte´ s.
Facteurs
professionnels
Les
facteurs professionnels sont difficiles à apprécier, car souvent
étudiés
dans des populations de patients ayant un cancer
des
VADS, rarement dans des études cas-témoins. Il est difficile
de faire
la part des choses entre l’intoxication alcoolotabagique
et l’exposition
à un éventuel toxique, ce d’autant que les
patients
sont le plus souvent incapables de préciser à quelle
exposition
ils sont soumis, du fait d’activités multiples avec des
postes
de travail variables. Le facteur « temps » est
également
à
prendre en compte. Les études toxicologiques étant souvent
rétrospectives,
le facteur temps est difficile à évaluer. C’est dire
qu’il
faut prendre avec beaucoup de précautions les données
sur les
expositions professionnelles dans ce type de cancers.
Quelques
études ont observé un rôle pathogène à certaines
expositions
comme les métaux, en particulier le nickel [71], les
polyvinyles
[72], les vapeurs de diesel [73], les aérosols d’huile
[74] et enfin l’amiante [75]. Bien connue pour être la cause
de
nombreux
cancers du poumon et de la plèvre, l’amiante est
donné,
dans les travaux de Muscat, comme facteur d’une
élévation
modérée mais non significative de la fréquence
des
cancers des VADS ; en revanche, il est prouvé que l’exposition
augmente
le risque chez le sujet tabagique [76] (grade
C).
Il
ressort de notre analyse de la littérature que :
_ l’essentiel des publications cliniques et
fondamentales portait
sur
le tabac et l’alcool ;
_ pour les autres facteurs de risques identifie´ s,
les publications
e´
taient anciennes, en particulier en ce qui concerne les facteurs
nutritionnels
et professionnels ;
_ la plupart des publications cliniques avaient un
faible niveau
de
preuve scientifique (grade C, niveaux 3 et 4).
Discussion
L’analyse
des résultats traduit le retard qui a été pris en ce qui
concerne
l’analyse des facteurs de risque des cancers des
VADS ;
ils soulignent la nécessité de combler ce retard par le
biais d’études
incluant un grand nombre de patients, de façon
prospective,
en ayant recours à des analyses statistiques approfondies
multivariées
et ce, dans le but de faire ressortir
l’impact
de chacun des toxiques sur l’incidence des cancers des
VADS.
Cela suppose une prise de conscience de la part de
l’ensemble
des médecins qui prennent en charge ce type de
cancer,
en particulier les spécialistes d’organes que sont les
otorhinolaryngologistes
et les chirurgiens maxillofaciaux, de la
nécessité
de rechercher par l’interrogatoire d’autres facteurs de
risque
que le tabac et l’alcool.
Ceci
suppose également une collaboration entre ces spécialistes
d’organes
mais également les médecins généralistes, les
épidémiologistes,
les nutritionnistes et les médecins du travail.
À l’heure
actuelle, ce type de collaboration n’est pas optimal, du
moins en
France. Or il est impératif de colliger un maximum de
1236
CA
Righini, A Karkas, N Morel, E Soriano, E Reyt
tome 37
> n89 > septembre 2008
données
sur les facteurs de risques potentiels, tout particulièrement
chez les
patients non alcoolotabagiques qui semblent
représenter
une part de plus en plus importante des patients
traités,
au delà des 5 % rapportés habituellement dans la
littérature
[24,38]. Malheureusement nous ne disposons pas
de
chiffres précis et récents concernant le pourcentage exact
que
représente ce groupe de patients, que ce soit en France ou
dans les
autres pays. Il est d’ailleurs fort probable que les
facteurs
environnementaux (nutrition, expositions professionnelles)
et les
facteurs viraux ont été largement sous-estimés
jusqu’à
présent, pouvant expliquer en partie l’augmentation
des
cancers des VADS chez cette catégorie d’individus. En
France,
les registres du cancer regroupés dans le réseau Francim
ont sans
nul doute un rôle essentiel à jouer dans la
coordination
des différents intervenants que nous venons de
citer et
dans la centralisation des données épidémiologiques.
En
identifiant de nouveaux facteurs de risques potentiels, il sera
alors
possible d’agir en prévention primaire et de contribuer à
faire
diminuer la fréquence et la mortalité par cancer des VADS.
Les
campagnes d’information et de lutte contre l’alcoolisme et
le
tabagisme en France illustrent parfaitement l’impact possible
sur la
prévention primaire de ce type de cancer.
La
consommation d’alcool diminue régulièrement en France
depuis
les années 1950. Cette consommation continue de
diminuer
; ainsi, avec 3,4 L d’alcool pur par habitant consommés
en 2005,
elle ne représente qu’1/3 de la consommation de
2003
estimée à 9,3 L d’alcool pur [36]. Une telle réduction de la
consommation
en un espace de temps aussi court demande à
être
vérifiée. En effet, plusieurs points doivent rendre prudente
l’analyse
des données recueillies lors de l’enquête téléphonique
menée en
2005 :
_ les personnes interroge´ es ont tendance a`
sous-estimer leur
consommation
re´ elle ;
_ les chiffres obtenus en 2003 l’ont e´ te´ a` partir
des quantite´ s
de´
clare´ es d’alcool vendu en France et non a` partir d’une enqueˆ te
te´
le´ phonique.
Toutefois
on peut y voir le résultat des campagnes de prévention
que ce
soit à la télévision, dans la presse écrite (médicale
ou non),
dans les campagnes d’affichages depuis le milieu des
années
1990. Cette diminution de la consommation a eu un
effet
bénéfique sur la mortalité masculine par cancer de la
cavité
buccale, du pharynx et du larynx (figure 2). Les comportements
se sont
également modifiés avec un renforcement
de la
notion de plaisir associé à la consommation d’alcool. Ainsi,
la
consommation moyenne annuelle double entre les tranches
d’âge 20–25 ans et 65–75 ans ; s’ils sont relativement
peu
nombreux
à consommer de l’alcool quotidiennement, les
jeunes
ont plus fréquemment des comportements d’ivresse
que
leurs aînés avec au moins 48,3 % des hommes et 20 % des
femmes
de 20 à 25 ans buveurs avouant avoir eu au moins une
ivresse
au cours des 12 derniers mois [36]. L’impact de cette
alcoolisation
massive et sévère, rencontrée principalement le
week-end,
est encore mal défini d’une façon générale et
encore
moins pour les cancers des VADS.
La
mortalité observée en 1995 (figure
2) est la conséquence
d’habitudes
prises 20 à 50 ans auparavant. Nous sommes donc
en train
d’observer la fin des conséquences des comportements
des
années 1940 et le début de celles des comportements des
années
1970. Ainsi pour le tabac, la consommation ayant
augmenté
jusqu’en 1975 (figure 3), le nombre de cancers
de la
cavité buccale du pharynx et du larynx va continuer à
1237 Revue systématique
Figure
2
Évolution
de la mortalité par cancer des VADS en France depuis
1950 (d’après
Hill [39])
Figure
3
Évolution
des ventes et du prix de tabac en France (d’après Hill
[39]). Sources : Dominique Dubeaux, Insee, pour le prix et
Monique
Padioleau, Seita, pour les ventes. Les prix sont relatifs,
base 100
en 1970, le tabac est exprimé en grammes par adulte et
par jour
Facteurs
de risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx (cavum exclu) et du
larynx
tome 37
> n89 > septembre 2008
augmenter
au moins jusqu’en 2020. L’augmentation sera particulièrement
importante
chez les femmes qui fumaient encore
très peu
à la fin des années 1980, à l’exception des femmes
jeunes [38]. Ceci
explique que l’augmentation des cancers liés
au
tabac, qu’ils soient pulmonaires ou des VADS, a à peine
débuté
en France dans la population féminine. Comme le
démontre
très bien la figure 3, la consommation de tabac,
en
particulier des cigarettes, est inversement proportionnelle
au prix.
Il est probable que les très fortes hausses de prix
constatées
depuis le début les années 2000 ont et auront des
conséquences
en termes de consommation, même si nous ne
disposons
pas encore de chiffres précis à ce sujet. Si cette
tendance
se poursuit, l’impact sur la mortalité par cancer des
VADS
sera différé dans le temps.
Conclusion
Comme
nous venons de le voir, les facteurs de risque des
cancers
des VADS sont très nombreux. Ceci implique que
l’interrogatoire
des patients atteints par ce type de cancer soit
très
approfondi en particulier chez les patients ne présentant
pas d’intoxication
alcoolotabagique, mais également chez les
autres
patients car les effets connus du tabac et de l’alcool
peuvent
être amplifiés et aggravés par d’autres facteurs qu’ils
soient
infectieux (virus) ou environnementaux (nutrition, facteurs
professionnels).
En ce qui concerne le tabac et l’alcool, le
bilan
qui vient d’être présenté souligne l’importance de la
prévention
en convaincant l’ensemble de la population française
d’arrêter
de fumer et de réduire sa consommation
d’alcool
à 1 à 2 verres par jour, sans dépasser 3 verres. Si
les
consommations de tabac et d’alcool continuent à diminuer,
la
réduction de mortalité par cancers de la cavité buccale, du
pharynx
et du larynx, commencée au milieu des années 1970,
se
poursuivra. Enfin, la collaboration entre les médecins prenant
en
charge ce type de cancer, les épidémiologistes, les
nutritionnistes
et les médecins du travail est absolument
nécessaire
pour avancer dans l’identification de nouveaux
toxiques
autres que le tabac et l’alcool.
Conflits
d’intérêts : aucun
1238
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